LE VÉRITABLE VOYAGE - Page 1 - de MIGUEL OSCAR MENASSA traduit de l'espagnol de CLAIRE DELOUPY LE VÉRITABLE VOYAGE MIGUEL OSCAR MENASSA Madrid, 2011 Diseño de portada: Clémence Loonis Traducción Claire Deloupy con la colaboración de Clémence Loonis ©Editorial Grupo Cero ©Miguel Oscar Menassa Attention! Attention! nous sommes sur le point de sombrer. Vous avez cru, que nous naviguions sur un puissant transatlantique et cependant je vous le dis: ma vie est un petit radeau amoureux. Je vois surgir entre les ombres une lumière que personne n'éteindra. Formée de vers et de parfums comme des vents insondables comme une cataracte de chair abandonnée qui enfin trouve son royaume. Royaume de nuages, d'antiques parfums et de parfums inconcevables. Petits radeaux amoureux toujours sur le point de sombrer. Pour l’instant ramer sera la seule passion jusqu’à atteindre le poème en ce mouvement. Ramez jusqu'à rester sans forces et, là, vous comprendrez le motif de ma passion. Nous irons sur les plus beaux fleuves et avec le temps nous oserons les grands océans la beauté des pleines bourrasques en mer et nous craindrons toujours de disparaître, petits, dans cette immensité qui nous entoure. Savoir nager ou être grandioses ne servira à rien pour arriver nous devrons maintenir le radeau à flot et nous, nous maintenir sur le radeau. Voilà tout le mystère. Un jour le radeau se brisera en mille fragments et chacun devra apprendre à se maintenir sur des morceaux de bois. Si le poème est possible, possible est la vie. Ramez, agonisez en ramant jusqu'à sentir que seul c'est impossible. Restez sans forces. Regardez comme d'autres rament et comme je rame moi-même les mains ensanglantées par l'effort sans repos, jusqu'à trouver dans ce mouvement le poème. Et chacun aura son petit radeau amoureux. Maître de sa vie et de sa mort il peut s'étendre sur le radeau pour toujours ne plus ramer et laisser les eaux l'emporter n'importe où. Et un autre ramant désespérément en le voyant écrira un poème. Ramer dans n'importe quelle direction ne sert pas non plus. La terre que promet la poésie est toujours la même. On y arrive ou l’on n'y arrive pas. Elle a besoin de rois de centaures elle ne se laisse ensemencer que par des révolutionnaires et des fanatiques par des hommes qui sur sa terre construisent leur maison et leur famille leurs grandes illusions. Celui qui répète ce qui est fait ne la trouvera jamais. Ramez pour arriver à cette terre comme personne n'a ramé et il vous sera offert à votre arrivée des mets qui n'ont jamais été offerts à personne. Et dans les nuits de désillusion, quand rien n'est possible dans cette obscurité demandez aux plus vieux qu'ils vous racontent des grands navigateurs leurs anciennes prouesses dans de petits bateaux en papier. Chaque étape parcourue aura ses dangers. Rien ne sera facile pour le poète. Viendra l'amour et il faudra s'éprendre jusqu’à sentir que la chair tremblante est un poème. Et ainsi arrivera l'inoubliable nuit, où pour un instant, cette passion sera la poésie. Face au doute ne pas cesser de ramer. Prendre dans nos bras, fortifiés comme des griffes par la cruauté de l'exercice, la personne aimée et continuer à ramer avec les dents s’il le faut. Avec le temps elle, aussi, ramera avec nous. Ensuite, à deux, à trois, entre tous, une fois rompue l'immensité de l'unique la mort viendra. Et avoir du courage ne servira à rien parce qu'elle se vante d'avoir tué tous les braves à la première rencontre. Et être lâche non plus parce qu'elle tue tout ce qui fuit. Pour rencontrer la mort il faut avoir appris quelque chose de l'amour: Ni fuir. Ni s'en prendre à rien. Apprendre à parler tranquillement c’est ce qu'enseigne l'amour. Quand elle s'approchera et elle viendra nous chercher avec son regard immense comme elle-même est immense la laisser s'approcher jusqu'à ce qu'elle entende notre respiration entrecoupée par la rencontre. Et elle, attendrie comme à son habitude nous tendra la main pour que nous accompagnions votre majesté à l'immutable règne du silence. Là quand s'abandonner est le plus facile la regarder dans les yeux l'immensité qui lui appartient et lui dire sourdement: Mort aimée mon amoureuse j'écrirai ton nom sur tous les murs j'embrasserai sans crainte tes lèvres comme jamais aucun homme ne l'a fait et je t'aimerai tu verras parmi le sang, dans les grandes catastrophes et je t'aimerai aussi quand un blanc bourgeon règnera sur ton cœur. La grande émotion qui parcourt sa cape noire en se retrouvant dans un poème fait de la mort une femme. Elle aussi finira par ramer tranquillement jusqu'à la rive et elle partagera mon pain et mes amours et elle volera durant les nuits pour abriter en son sein, ceux qui ont cessé de ramer et elle reviendra pour me rencontrer et me raconter ses prouesses. Comme si chaque fois était la première je recommencerai à respirer comme respirent les athlètes et pour l'avoir appris d'elle je la regarderai attendri et je lui dirai: Ma mort amoureuse et elle sera heureuse. Ensuite il faut continuer à ramer. Alors, ils nous questionneront et nous dirons: nous avons été avec l'amour et nous avons été, aussi, avec la mort. Au début ils ne nous croiront pas ils diront que pour l'homme c'est impossible. Ils nous demanderont des preuves nous, nous leurs montrerons comme si c'était le ciel quelques poèmes et nous réussiront par ce geste qu'arrive jusqu'à nous le temps de la moquerie. De grandes embarcations qui ne cherchent rien parce qu'elles croient avoir passeront une fois et une fois encore près de nous en essayant de couler avec leurs jeux notre petit radeau amoureux. Ils nous appelleront de leurs luxueuses embarcations, des noms dont on nomme les déchets. Poètes. Fous. Assassins. Et dans le brouhaha stupide de leurs jeux tout sera possible. Ils nous jetteront quelques pierres et ils se diront rien ne les offense et furieux ils nous crieront: Battez-vous, lâches! Défendez-vous. Et après mille et mille fois encore les yeux exorbités par la fatigue et aussi par la surprise de voir notre petit radeau amoureux suivant son chemin et nous, ramant tranquillement. Après avoir traversé sains et saufs le chemin de la moquerie viendra je vous l'assure le temps de l'or. Lassés de leurs propres rires ils voudront jouer à notre jeu. Combien coûte cette planche presque pourrie que vous utilisez comme embarcation? Et combien votre vie? Combien ces vieilles cartes de navigation et combien ces poèmes? Ils coûtent, monsieur, ce que coûte à un homme, cesser de s'appartenir et s’abandonner au poème. Combien d'argent cela coûte-t-il? Tout et aucun votre propre vie peut-être. Combien d'argent coûte alors ma vie? Tout et aucun. Votre vie ce sont des paroles comme toutes les vies et , cela, si j'ai bien compris, ne vaut rien. Et combien d'argent coûte penser ainsi?
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