Vers Compostelle IV - Page 13 - Suite du chemin - Pèlerinage vers Compostelle 4ième étape De st Jean Pied de Port à Puente La Reina Il y a beaucoup de pèlerins qui comme nous cherchent leur gîte ou accueil pour la nuit. C’est le chauffeur du petit train de la ville qui nous renseigne. Il nous donne un plan pour nous permettre de nous orienter plus facilement. Nous allons déposer nos bagages et partons à la découverte de l’endroit. Nous achetons des cartes-postales que nous postons aussitôt après les avoir écrites, elles auront ainsi le tampon du lieu. Ginette fait quelques photos et chemin faisant, nous nous arrêtons dans une superette pour acheter notre pique-nique pour demain. Avant de rentrer, nous visitons l’église, faisons brûler des cierges. Il est 19h et sans plus traîner, nous regagnons le gîte, nous passons au bureau pour faire tamponner les crédences et repartons repérer le départ du GR65, route Napoléon après les indications données par le gérant à l’accueil. La soirée est douce. Je m’exclame : « Ginette, regarde comme c’est beau ! ». J’admire les formes environnantes qui baignent dans une lumière de soleil couchant. De retour au gîte, j’écris quelques lignes. Ginette prépare une infusion que nous apprécions avant de nous mettre au lit. Le couchage est rudimentaire, je me complais dans ce détachement momentané de confort. Je garde les yeux mi-clos dans cette chambre éclairée par une lueur lunaire qui filtre à travers les persiennes des volets clos. Il n’y a aucun bruit, je médite. Le silence n’a pas de valeur en soi, mais il est nécessaire dans ce monde turbulent. Il m’invite à la réflexion philosophique. Je ferme les yeux, sans m’en rendre compte, je m’endors. Vendredi 2 Juin 2017 Aujourd’hui, notre étape sera longue et difficile : St Jean Pied de Port => Roncesvalles, 26,9 km. Il nous faut compter 7h de marche. La nuit a été courte. Il est 4h du matin quand je me lève, puis Ginette se réveille. Nous nous préparons et décidons d’un commun accord de partir dès 5h. Nous avons le choix entre deux points de départ, col de Roncevaux ou col de Somport. Les deux chemins se rejoignent à Puente la Reina. 65 km, trois jours sont nécessaires ou même une journée supplémentaire. Il fait encore nuit à cette heure matinale mais la météo est bonne. Nous avons choisi de faire la randonnée en juin car à cette époque, les températures sont supportables et les journées sont assez longues ; tout en sachant qu’en Galice, il faut s’attendre à de la pluie à longueur d’année. Nous avons besoin de la lampe frontale et d’une torche pour nos premiers pas sur la route pour lire sur le panneau : « chemin de St Jacques ». Nous marchons tout droit sur la rue qui monte en pente raide. A partir d’ici, les repères rouges-blancs du chemin de grande randonnée GR65 indiquent l’itinéraire à suivre. Au bout d’une heure, on lit sur un poteau indicateur : Roncevaux/Orreaga. Nous continuons jusqu’au hameau du quartier Huntto. Le chemin se fait de plus en plus raide et les jambes de plus en plus lourdes. Il nous faut gravir cette pente avant de prendre un petit raccourci via un sentier herbeux qui retombe au bout d’une demiheure juste avant une fontaine et une pancarte d’informations sur une petite route. Après un quart d’heure, le café panoramique : « Auberge Orisson » nous invite à faire une pause. Les pieds ont besoin de respirer. Cette halte nous permet de contempler le paysage. Nous sommes de bonne humeur, déjà heureuses de franchir cette première étape. Nous en profitons pour remplir nos gourdes à la fontaine publique. Je m’assois dans l’herbe pour boire un café, Ginette fait des photos. Des odeurs de feuillages humides montent jusqu’à mes narines. Le chemin traverse une vaste zone de pâturages sur lesquels paissent les brebis. Les courbes sur le sol donnent envie de jouer, courir, sauter, s’y rouler sur ces tapis de velours vert tendre. De ces champs beaux, apaisés et tranquilles, émane une quiétude des lieux. Le temps n’a pas de prise sur la nature, il se dilate. Nous sortons de nos habitudes. Depuis le sol, je contemple l’harmonie des couleurs qui changent avec l’éclat du soleil comme l’horloge qui fait tourner les heures. Ginette, restée plus loin, me rejoint, baisse la tête et je comprends dans son regard qu’il est temps de repartir. Nous suivons la route qui monte jusqu’à un petit carrefour et à la vierge de Biakorri (1095m). Nous avons marché 3h et parcouru 11,5km ici. Cette petite statue sur la formation rocheuse escarpée en biais, à gauche du chemin, est à peine reconnaissable, il faut légèrement bifurquer pour l’atteindre. Plusieurs pèlerins s’y arrêtent pour quelques clichés, nous nous frayons un chemin pour y avoir accès à notre tour. C’est une randonnée difficile avec beaucoup de dénivelé (1200m). Les montées sont raides, il y a plusieurs types de terrains. Je dois dire que l’itinéraire est très bien balisé, jusque-là nous n’avons fait aucune erreur de parcours. La météo par-contre nous a pris par surprise ; elle était clémente quand, soudain, en levant les yeux au ciel : « -regarde là-bas comme c’est noir ! » me dit Ginette. En moins de temps qu’il ne me faut pour répondre, un orage de pluie et grêle mêlées nous fouette le visage et le corps. Nous sortons en deux temps trois mouvements nos vêtements de pluie. J’ai un coupe-vent, Ginette essaie de se couvrir avec une cape imperméable que lui a donné Isa, une amie marcheuse. Opération difficile à cause du vent froid qui souffle fort. Nous ne voyons plus rien, nous avançons têtes baissées, frappées par la bourrasque. Nous progressons à petits pas, droit devant, sans se soucier du chemin, juste par intuition tant que ça monte ! J’aperçois, seul, isolé sur le haut de la colline, presque sur le plateau, un camion dépannage « FoodTruck » qui propose quelques aliments : fruits, pains, boissons… ; nous nous y arrêtons, achetons chacune une banane et des œufs durs. Nous sommes trempées mais impossible de se mettre à l’abri sous l’auvent, il protège le ravitaillement. Cette halte devient pour les marcheurs un rassemblement, ceux qui étaient devant se sont arrêtés, les derniers nous ont rejoint. Un jeune pèlerin, assis, collé contre une roue du véhicule, se mord les lèvres, il grelotte sous son vêtement mince. Le chauffeur lui tend un verre de café chaud, d’autres clients se posent près de lui, il sourit à cette sourde bienveillance qui l’entoure. Aussi vite qu’elle est venue, la pluie cesse et découvre comme par magie les prairies. Les clôtures sont très rares, les chevreaux, les chèvres, les vaches se déplacent en liberté. Les animaux ont ici la priorité sur les véhicules et les marcheurs. Nombreuses sont les brebis de race Manech à longs poils dont le lait permet de fabriquer le savoureux fromage Ossau-Iraty dit le vendeur. « La nature est un patrimoine vivant » ajoute-t-til. L’orage nous a fait détaler mais maintenant que le calme est revenu, nous faisons quelques mètres pour enfin nous asseoir et casser la croûte. Le sol est recouvert de crottes de biques. Nous nous adossons contre deux rochers isolés dans cet écrin de verdure. Ces vallons lavés par la pluie contribuent à la beauté du lieu. Des chevaux en semi-liberté entretiennent les pelouses : ‘Pottok’ les poulains du Pays Basque. Je déballe mon repas. A haute voix, je dis : « Oh, Seigneur, ce ne sont que quelques pâtes ! dirait Don Camillo » Ginette se met à rire en dépaquetant une barquette de riz. Le ciel s’éclaircit. « Quel temps incroyable » dit Ginette. Nous ne traînons pas, nous avalons un café chaud. La faim calmée, la soif étanchée, nous empruntons le chemin qui reprend le GR65. Au carrefour, nous suivons la petite route asphaltée qui monte. C’est une heure plus tard que le chemin la quitte pour passer par un sentier battu devant une croix de pierre où de nombreux pèlerins ont déposé des souvenirs. Le sentier franchit un petit col pour arriver dans un bois. Dès les premiers kilomètres, la montée vers le col de Bentarte est rude (1344m). Nous humons l’odeur du bois mouillé, arpentons le chemin escarpé, les sentiers abrupts. La marche est lente. La nature nous fait cadeau de ses reliefs et de ses tendres perspectives. Un feuillage dense fait de l’ombre aux racines qui traversent le parcours et cachent les flaques d’eau. Nous mettons un pied devant l’autre prudemment. Tout ralentit, s’apaise. C’est le pays Basque. Nous restons muettes, happées par les ombres et lumières qui jouent entre les branches que le vent agite. La randonnée pédestre permet de se ressourcer, d’explorer de nouveaux itinéraires. « -C’est difficile mais je suis contente de faire cette épreuve avec toi, ce sera comme cela tous les jours ? » me demande Ginette. Je réponds d’un air éloquent : « -Non, ça grimpe jusqu’à Roncevaux mais après ce sera plus facile. Le plus dur sera fait. « -J’espère » dit-elle. Elle s’immobilise, lève la tête, inspire profondément, soupire et résignée recommence à gravir la colline. « -Ca y est, on y est presque Ginette, courage ! -Je ne le referai pas deux fois ! » dit-elle, essoufflée. « -Quand tu seras arrivée, tu auras oublié, tu es persévérante et je te remercie de m’accompagner, je découvre comme toi, c’est éprouvant mais salutaire, non ? » Un peu plus tard, à la fontaine de Roland, nous franchissons la frontière avec l’Espagne, la Navarre. A partir de maintenant, la flèche jaune nous guide en permanence. Au bout d’un quart d’heure, nous arrivons au point le plus haut de l’étape, le col de Lepoeder (1430m). De là, nous pouvons voir loin, la plaine qui s’étale devant Roncevaux. Roncevaux a été rendu célèbre par la chanson de Roland, chanson de gestes du XIIème siècle où est relatée l’attaque de l’arrière garde de Charlemagne, commandée par Roland. On voudrait faire une pause sur les cent derniers mètres de dénivelé mais le bonheur est si intense qu’il nous donne la force d’aller jusqu’au bout.
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